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On ne tranchera pas ici la controverse qui opposa à distance, voilà plus d’un siècle, Bergson à Ribot. Que le souvenir ait son empreinte matérielle dans le cerveau, qu’il soit par conséquent logé on ne sait trop comment dans les fibres du système nerveux, comme le soutenait Ribot, ou que le cerveau ne soit que le moyen par lequel les souvenirs, qui se conservent en soi, dans le temps, viennent s’insérer dans le présent de l’action, et en vue d’une action, comme l’écrivait Bergson, n’a que peu d’importance pour le neurochirurgien. Lui, à l’observation, constate que la mémoire du patient n’est pas affectée de la même manière selon le type de lésions qui touchent son cerveau. Et de là il en déduit qu’il existe différents types de mémoire.
Les causes d’une lésion cérébrale sont nombreuses, mais toutes n’entraînent pas des troubles mnésiques. Parmi les causes auxquelles on pense prioritairement, il y a les lésions cérébrales traumatiques dues à une chute, un accident de la route, un choc violent ou une explosion ; il y a pareillement les lésions cérébrales acquises non causées par un traumatisme, par exemple une crise cardiaque, une rupture d’anévrisme, un accident cardiovasculaire, une maladie infectieuse, une tumeur cérébrale, une encéphalopathie hépatique ou encore une crise d’épilepsie ; et bien sûr les maladies neurodégénératives, au premier rang desquelles la maladie d’Alzheimer.
Pour distinguer différents types de mémoire, encore faut-il au préalable avoir constaté chez les patients des troubles cognitifs et mnésiques hétérogènes, et ensuite avoir pu les rapporter à des perturbations neurologiques précises. L’un ne s’oriente plus dans sa ville mais sait retenir une suite de mots ; un autre ne reconnaît plus les visages mais peut réciter un poème par cœur. Pour chaque cas il doit bien se passer quelque chose dans les fibres ou les cellules du cerveau.
L’examen du patient est d’abord du ressort du médecin qui, pour évaluer le degré de perturbation des fonctions cognitives, va lui demander de répondre à des questions ou d’accomplir différentes tâches.
Le médecin soumet au patient une liste courte de mot pour qu’il la répète ; après quelques minutes, il vérifie s’il s’en souvient encore. Certains ne sauront pas répéter la liste de mots sans se tromper, d’autres ne se souviendront même pas qu’on la leur a soumise quelques minutes avant. « Quel jour est-on ? Où sommes-nous ? » A ces questions un malade d’Alzheimer ou un traumatisé crânien ne pourra répondre. L’interroger sur des événements du passé, voir s’il parvient à piocher dans ses souvenirs, permet de diagnostiquer une altération de la mémoire à long terme.
Il s’agit d’une des deux mémoires de Bergson, la « mémoire-souvenir », ce qu’on appelle aujourd’hui la mémoire explicite ou le souvenir pur. En ce qui concerne le malade d’Alzheimer, cette mémoire est particulièrement altérée, au contraire de la mémoire implicite ou procédurale, qui englobe les automatismes acquis, comme marcher, faire du vélo, nager (qui se superpose partiellement avec ce que Bergson nommait « la mémoire-habitude ») – qui reste, du moins avant l’ultime stade, intacte.
Le médecin sait que les troubles de la mémoire ne concernent pas que les souvenirs à court ou long terme. Il garde à sa disposition d’autres exercices qu’il soumettra aux patients : épeler des mots à l’envers ou leur propre numéro de téléphone ; nommer des objets communs, lire et écrire des phrases ; évaluer la capacité à comprendre des rapports spatiaux en faisant dessiner des objets ou des figures géométriques ; vérifier sa compréhension de la langue, le sens des mots et lui faire résoudre des problèmes mathématiques simples.
L’examen ne serait pas complet si le patient n’était pas interrogé sur sa propre perception des troubles qui l’affectent, sur la qualité de son sommeil, son alimentation et son humeur. A l’issue de ces tests de contrôle, et compte tenu de l’âge du patient, le médecin pose son diagnostic que des examens complémentaires, IRM et/ou ponction lombaire pour y prélever du liquide céphalorachidien, viendront compléter. Lui s’intéresse à la maladie ; le neurologue s’intéresse aux différentes circonscriptions du cerveau et à leur fonction – et notamment, dans l’exemple qui nous concerne, la mémoire. Il y a bien sûr quelque chose d’arbitraire dans la dénomination des types de mémoire. Il ne faut pas se laisser abuser et croire que telles circonvolutions du lobe temporal sont prévues pour la résolution de telle ou telle fonction mnésique. Il est en revanche prouvé qu’à chaque exercice mobilisant la mémoire, des réseaux neuronaux différents sont activés. A partir de là, on en a déduit qu’à certaines zones du cerveau correspondaient certains usages de la mémoire.
Ces quatre derniers types de mémoires appartiennent à la mémoire à long terme, c’est-à-dire à la mémoire qui s’est constituée en quelque sorte à nos dépens et qui, pour au moins trois d’entre elles, n’exigent aucun effort tant les activités qu’elles recouvrent et rendent possibles sont devenues routinières.
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