Le vieillissement cérébral

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Le vieillissement du cerveau

En admettant que vieillir, ce soit « prendre de l’âge », tout être vivant commencerait à vieillir dès la naissance, et le cerveau n’y ferait alors pas exception. Cependant en biologie, on considère d’ordinaire que le vieillissement débute au terme de l’ontogénèse, quand l’organisme s’est développé jusqu’à atteindre sa forme adulte. Autrement dit, on vieillit lorsqu’on cesse de grandir. Mais qu’en est-il du cerveau ? Comment se fait le vieillissement cérébral ?

Mort des neurones et neurogénèse

On a coutume de lier le vieillissement cérébral au déclin des fonctions cognitives et le début de ce déclin au moment où les neurones commencent à mourir. Ainsi considéré, le cerveau atteindrait sa pleine maturité vers 20 ans, et après coup viendrait la lente et longue dégradation de ses facultés. Même si, comme tous les organes, le cerveau subit les effets de l’âge, la réalité est bien plus complexe.

Mort des neurones et plasticité cérébrale

Tout d’abord, la quantité de neurones n’est pas un bon indicateur du vieillissement cérébral. L’idée selon laquelle l’être humain naîtrait avec un stock définitif de neurones diminuant au sortir de l’adolescence est largement fausse. Des neurones excédentaires, le cerveau en élimine tout au long de son développement, et cela autant avant qu’après la naissance. Cette mort neuronale n’est pas liée au vieillissement cérébral, au contraire : elle est nécessaire au bon fonctionnement du cerveau.

A la vérité, la maturité d’un cerveau ne se juge pas au nombre de ses neurones mais à sa plasticité, entendu d’une part comme la capacité des synapses à moduler, en fonction du stimulus, l’efficacité de la transmission du signal électrique entre deux neurones et à en conserver une trace mnésique, et d’autre part comme la capacité du cerveau à se régénérer et à créer, dans certains cas, de nouvelles connexions. La plasticité synaptique est un mécanisme neuronal fondamental dans l’apprentissage et la mémoire, et la plasticité cérébrale permet de réduire l’impact des traumas, des lésions ou des maladies neurodégénératives.

Un cerveau se construit en formant petit à petit un réseau ordonné et efficace de neurones et en éliminant les connexions synaptiques redondantes et superflues. Trop de connexions synaptiques nuisent aux performances cérébrales : lors de la transmission du message nerveux, le signal qui passe entre deux neurones génère un bruit qui augmente en proportion du nombre de connexions. Or, les conséquences du bruit synaptique sur le fonctionnement du réseau neuronal ne sont pas négligeables, des troubles neurocomportementaux comme l’autisme y trouvent leur origine.

Un cerveau vient ainsi à maturité vers 30 ans, par un double processus de renforcement et d’élimination (ou élagage) des connexions synaptiques qui se termine bien après que le cerveau a atteint son volume définitif. Faut-il en déduire qu’il se met alors à vieillir ? C’est difficile à dire, pour deux raisons : la première, c’est que le vieillissement cérébral ne touche pas de façon homogène toutes les structures du cerveau et qu’il dépend de facteurs multiples et contingents (alimentation, pollution, mode de vie, maladie, etc.), qui soit l’accélèrent, soit le retardent. Si les neurones fatiguent naturellement après la cinquantaine, les fonctions cérébrales, dont l’altération est l’indicateur tangible du vieillissement, peuvent se maintenir encore plusieurs années en entretenant leur plasticité (par les activités physiques et cognitives, les relations sociales, etc.) et en bannissant les psychotropes (alcool, tabac, drogues) ou le stress.

Neurogénèse adulte

La seconde raison, c’est la neurogénèse adulte. C’est peu dire que la question de savoir si de nouveaux neurones sont créés après l’adolescence fait l’objet de controverses. Les observations et les articles se suivent mais, au gré des méthodes de détection, les conclusions diffèrent. Il semble pourtant acquis qu’au sein de l’hippocampe, région d’où dépendent la formation de souvenirs et l’apprentissage, de nouveaux neurones fonctionnels sont produits tout au long de la vie. Et leur quantité, contre toute attente, ne serait pas négligeable puisque 2% des neurones de l’hippocampe se renouvelleraient chaque année.

Dans quelle mesure cette neurogénèse joue un rôle dans le vieillissement cérébral ou la survenue de maladies neurodégénératives, il est sans doute trop tôt pour y répondre, bien que tout porte à croire que la baisse de la neurogénèse chez l’adulte soit la conséquence plutôt que la cause du vieillissement du cerveau et des maladies neurodégénératives.

Le vieillissement cérébral

Il ne s’agit pas d’en déduire que le vieillissement cérébral ne s’accompagne pas de la mort de neurones, mais plutôt que les neurones vieillissent pour d’autres raisons qu’ils en viennent à mourir. Les fonctions cérébrales – percevoir, parler, penser, comprendre, planifier, mémoriser ou se souvenir – peuvent de toute façon se maintenir, en dépit de la perte de neurones, grâce aux phénomènes compensatoires dus à la plasticité cérébrale. Il est possible de mourir très âgé en ayant conservé toutes ses capacités mentales.

Déterminer la perte neuronale normale lors de la vieillesse est une gageure. Mais est-ce seulement possible ? Des chercheurs la chiffrent à 10-15% des neurones, d’autres la considèrent quasiment nulle, hormis dans le cas de maladies neurodégénératives où les neurones nécrosent (les neurones dopaminergiques de la substance noire dans la maladie de Parkinson, les neurones cholinergiques de l’hippocampe dans la maladie d’Alzheimer) et provoquent le dysfonctionnement et la mort par nécrose ou apoptose des neurones environnants.

En tout état de cause, la mort des neurones n’implique pas plus une diminution des facultés cognitives que la destruction anormale et excessive des neurones n’explique le processus du vieillissement cérébral – celle-ci en est une des complications possibles. Il est inéluctable que le cerveau vieillisse, après tout c’est un organe comme un autre, avec cette petite différence que son fonctionnement est dépendant des autres organes et du monde extérieur.

Déjà le volume du cerveau diminue sensiblement avec l’âge (jusqu’à 10% au terme de la vie). Malade ou pas, la matière grise perd en épaisseur du fait de l’atrophie des cellules nerveuses et des dendrites. Quant aux axones et à la gaine de myéline qui les entoure, ils finissent par se détériorer, ralentissant la vitesse de l’influx nerveux. C’est sans doute la principale cause du déclin cognitif lors de la vieillesse.

Aux modifications structurelles du cerveau s’ajoute la baisse du débit sanguin cérébral. Avec le temps, l’obstruction des capillaires par des neutrophiles (globules blancs) réduit l’apport en glucose dans le cerveau. Or le glucose est ce que les neurones consomment pour produire de l’énergie, sous forme d’adénosine triphosphate (ATP). Une baisse du glucose affecte de nombreux processus cognitifs comme la mémoire ou l’attention. Parmi les causes les plus fréquentes de la baisse du débit sanguin, on retrouve le tabac, le diabète, la cholestérolémie, l’hypertension artérielle ou encore l’athérosclérose.

La vieillesse aidant, les neurones peinent à fabriquer des neurotransmetteurs dans les vésicules synaptiques en raison notamment des substances toxiques qui endommagent les neurones (particules fines, pesticides, tabac, etc.), du stress oxydatif et de la faible excitabilité des neurones qui ne réagissent plus aussi bien aux stimulations électriques et chimiques.

Il faut bien se rendre compte qu’il est difficile de savoir ce qu’est le vieillissement normal du cerveau. Pas seulement parce que le concept de normal prête à confusion – il ne signifie pas la même chose selon qu’on l’oppose à pathologique ou à inhabituel – mais aussi parce que le cerveau est par excellence l’organe dont la physiologie est sous l’entière et continue dépendance de facteurs internes et externes : l’hérédité, l’alimentation, la pollution, les maladies, les hormones, les émotions, le stress, la dépression, le sommeil, les exercices physiques et intellectuels ou l’environnement social sont autant de paramètres qu’il faut prendre en considération pour savoir s’il est normal – au sens de prévisible – que les facultés cérébrales de chacun de nous déclinent à un moment ou à un autre.

Il n’existe pas de cerveau de laboratoire, fonctionnant en vase clos, dont l’observation permettrait de déterminer sa façon naturelle de vieillir. Pas plus qu’il n’existe de vie parfaite qui nous mettrait à l’abri du déclin cognitif. Celui-ci est une fatalité, on peut tout au plus prendre des précautions pour éviter qu’il ne se produise de notre vivant.

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