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Le Larousse le dit, qui ne se trompe jamais : « extraire, c’est obtenir une substance en la séparant d’un corps par voie physique ou chimique. » Et l’extrait, in fine, c’est la préparation obtenue au terme d’un procédé qui dépend du type d’extrait souhaité (solide, liquide, en poudre), de sa concentration en principe actif et de son usage (parfumerie, huiles essentielles, médicament, etc.). Les méthodes d’extraction diffèrent bien sûr selon que l’extrait est naturel ou synthétique, tiré de la nature ou copié sur elle. Les propriétés chimiques d’un extrait naturel ou synthétique sont cependant identiques. Puisque tel est le cas, quelle est en définitive la différence entre extrait naturel et extrait synthétique ?
Un extrait est dit « naturel » lorsque le principe actif est séparé directement de la plante au moyen d’un solvant selon un procédé d’extraction – quel que soit son niveau de complexité. Les principes actifs extraits dépendent de la méthode d’extraction ainsi que du solvant choisi. Qu’au moyen de technologies modernes on puisse en laboratoire isoler et standardiser les principes actifs de la plante ne rend pas l’extrait produit moins naturel que l’extrait de plante fraîche.
Le choix d’extraire le totum de la plante – autrement dit l’ensemble des molécules actives et utiles qu’elle contient – ou seulement l’une ou l’autre de ses molécules relève de considérations médicinales. En effet, certaines propriétés pharmacologiques d’une plante ne reposent pas sur l’action d’un composé en particulier mais sur la synergie entre toutes ses composés biochimiques. Mais rien n’interdit non plus d’isoler certains composés, de les standardiser et de les assembler en vue de préparer un extrait à l’action synergique optimisée. L’extrait obtenu reste évidemment un extrait naturel.
Pour savoir s’il est préférable d’extraire le totum de la plante ou seulement une de ses molécules, encore fallait-il déjà avoir isolé et analysé les principaux composés phytothérapiques. Or, si les plantes médicinales sont connues depuis des millénaires (les premières recettes à base de plantes sont aussi vieilles que l’écriture), c’est au début du XIXe, avec l’apparition de la chimie moderne, que les premières substances actives présentes dans les plantes furent identifiées (la morphine dans le pavot en 1815, la quinine dans l’écorce de quinquina en 1820). La première molécule de synthèse voit le jour en 1899 avec la synthèse complète de l’Aspirine par le laboratoire Bayer.
S’il a fallu attendre les technologies modernes pour isoler, standardiser et comprendre précisément le mode d’action des principes actifs dans le cerveau, les médecines traditionnelles n’ignoraient pas comment tirer au mieux parti des plantes. Chaque méthode d’extraction a toujours tenu compte de la meilleure manière d’optimiser l’effet recherché. Les méthodes traditionnelles d’extraction ont en commun d’être des méthodes d’extraction solide-liquide (ESL) dont l’extrait final, à l’exception des huiles essentielles, est bu.
De toutes, l’infusion est la plus connue qui permet d’extraire, en versant de l’eau bouillante sur les fleurs ou les feuilles puis en laissant reposer quelques minutes, tous les principes actifs solubles dans l’eau de la plante. L’infusion est principalement employée dans la préparation de boissons (thé, maté, tisane) sédatives ou excitantes.
La décoction est privilégiée lorsqu’il s’agit d’extraire les molécules actives des parties plus dures et fibreuses, racines, écorces, tiges, graines ou baies. Cette méthode consiste à tremper les parties utiles de la plante dans l’eau froide puis à les porter à ébullition pour une durée variable (parfois plusieurs heures) avant de laisser le tout refroidir et de le filtrer. Le risque de la décoction est de détériorer les substances thermosensibles si l’ébullition se prolonge de trop.
La macération est généralement utilisée pour les plantes dont les principes actifs recherchés sont sensibles à la chaleur (la vitamine C, par exemple). Toutes les parties des plantes peuvent être macérées, c’est-à-dire être trempées dans un solvant – la plupart du temps un mélange d’eau et d’alcool –, généralement à froid ou à température ambiante, en vase clos et dans un lieu sombre et frais. Aujourd’hui, la nature du solvant dépend de la substance que l’on cherche à extraire de la plante. Si l’eau, l’éthanol, le méthanol ou l’acétone sont les solvants usuels, c’est que la plupart des composés qui intéressent la médecine, parmi les composés phénoliques, alcaloïdiques et terpéniques des plantes, sont des molécules polaires qui ne se dissolvent que dans les solvants polaires.
La macération ne sert pas qu’à l’extraction des principes actifs. En médecine traditionnelle, les plantes macèrent dans de l’alcool pur, titré entre 60 et 95°, et le marc, après égouttage, est pressé puis filtré ; le liquide obtenu est une teinture-mère. Quand la teinture-mère est bue, l’alcool contenu permet aux principes actifs de passer rapidement dans le système sanguin et d’être distribués aux organes sans subir de transformations par les enzymes digestives.
La percolation consiste à verser sur un marc de plantes préalablement broyées et humidifiées par un solvant de l’alcool dont le débit est contrôlé (au goutte à goutte) et de récupérer la teinture. Bien que peu utilisée de nos jours, la percolation permet l’extraction optimale des principes actifs et elle est supérieure à la macération en ceci que le solvant qui la traverse est vierge et non saturé.
Quant à l’hydrodistillation, dont on retrouve des traces jusque dans les traités de médecine ayurvédique, c’est la distillation d’un mélange d’eau et de composés organiques non ou peu miscibles enfermés dans une plante qui vont être récupérés après chauffe, évaporation, refroidissement, liquéfaction et décantation. En médecine traditionnelle cette méthode servait surtout à la fabrication d’huiles essentielles.
La pharmaceutique moderne n’a pas entièrement délaissé les méthodes traditionnelles ; elle les a en revanche affinées. L’hydrodistillation est encore, de nos jours, la méthode classique d’extraction des principes actifs d’une plante. Mais la connaissance approfondie que l’on a des différents composés a permis de déterminer, pour leur extraction, le meilleur solvant et la température optimale de la distillation – il faut savoir que le point d’ébullition de l’éthanol est de 74°. Par exemple, l’huperzine A, un inhibiteur de la cholinestérase de l’huperzia serrata, s’extrait dans l’eau à 95° ; la sarsasapogénine de l’asparagus officinalis, dans l’éthanol à 40° ; les polyphénols de la verbena officinalis dans un mélange eau/éthanol à 40° ; la diosgénine contenue dans la dioscorea villosa, dans l’éthanol à 72°. C’est du moins de cette manière que la teneur en principes actifs, polyphénols, flavonoïdes et terpénoïdes, sera la plus forte.
Pour connaître le titrage en principes actifs des extraits produits, il existe des techniques : soit de chromatographie sur couche mince (CCM), soit surtout de chromatographie liquide haute performance (HPLC) qui permet de séparer, d’identifier et de quantifier les composés chimiques d’un extrait préalablement filtré et atomisé (le dosage n’étant pas possible avec le CCM). L’atomisation est une méthode de déshydratation d’un liquide sous forme de poudre par pulvérisation en très fines gouttelettes du liquide filtré dans une enceinte au contact d’un courant d’air chaud. Ce procédé facilite la conservation et la stabilité des principes actifs, en plus d’autoriser la mise sur le marché sous d’autres formes galéniques : gélule, comprimé, suppositoire, etc.
Dans l’industrie pharmaceutique, la HPLC est largement utilisée et souvent couplée avec la spectrométrie de masse qui permet d’identifier et de quantifier les molécules avec une meilleure sensibilité et à des taux même faibles, selon leur masse molaire. A l’issue de ces opérations où chaque principe actif est isolé et sa quantité connue, il est alors possible de préparer des extraits naturels standardisés en principes actifs et mis en gélules, en y ajoutant un excipient comme la maltodextrine.
D’autres méthodes d’extraction existent : micro-ondes, cryobroyage (par injection d’azote liquide) ou extraction au fluide supercritique. Après avoir fait le bonheur de l’industrie alimentaire – qui en use notamment pour décaféiner le café –, l’extraction au CO2 supercritique s’est invitée dans l’industrie pharmaceutique qui y trouve un moyen écologique, rapide et rentable d’extraire et d’analyser les composées de la plante entière, des racines aux feuilles. Il s’agit du procédé le plus récent d’extraction des matières premières végétales, qui utilise du gaz carbonique sous pression et à température supérieure à 31° dans un extracteur où ont été placées les parties de la plante à analyser. A l’état supercritique (intermédiaire entre le gaz et le liquide obtenu sous haute pression), le CO2 joue le rôle de solvant non toxique et totalement éliminé en fin d’extraction.
Aussi sophistiquées que soient les méthodes d’extraction et technologiques les procédés d’identification, de quantification et de purification des substances actives, tant que les molécules proviennent de la plante l’extrait est naturel.
La principale différence entre un extrait naturel et un extrait synthétique réside évidemment dans la façon de l’extraire.
Un extrait synthétique n’est, strictement parlant, pas différent d’un extrait naturel. La molécule produite par synthèse organique en laboratoire est une copie parfaite de la molécule naturelle, telle qu’elle se trouve dans la nature. Les propriétés caractéristiques d’une molécule ne dépendent pas de son origine naturelle ou synthétique. Extraite d’un grain de caféier ou synthétisée à partir de la diméthylurée et de l’acide malonique, la caféine a exactement les mêmes propriétés et vertus. Dans l’un ou l’autre cas, il s’agit rigoureusement d’une seule et même molécule chimique. Il ne faut pas confondre la molécule synthétique avec la molécule artificielle qui est créée en laboratoire (souvent par assemblage de molécules naturelles ou synthétiques) afin de faciliter son absorption, d’augmenter son efficacité ou de limiter les effets indésirables, mais qui n’existe pas dans la nature.
Si la molécule synthétique est en tout point identique à la molécule naturelle, pourquoi la synthétiser ? Les raisons sont relativement simples :
• L’accès et la rareté des ressources. De nombreuses molécules n’existent qu’en toute petite quantité dans des plantes elles-mêmes rares, difficiles d’accès et impossibles à cultiver. Au-delà du gain de temps, les synthétiser permet de ne pas épuiser les ressources naturelles et de préserver la biodiversité.
• L’augmentation de la productivité et les économies financières. Quand une molécule se trouve en abondance dans la nature et que sa source se cultive facilement, il n’y a normalement dans besoin de la synthétiser. La caféine, disponible en grande quantité et facile à extraire, n’est généralement pas synthétisée. Par définition, on synthétise une molécule dans le but de baisser les coûts de production (gain de temps sur le sourcing), d’augmenter les volumes et d’améliorer ainsi la productivité.
• Meilleure stabilité des molécules. Certains principes actifs ne se conservent pas bien à l’air libre. La vitamine C (ou acide ascorbique) en est un bon exemple, qui se dégrade rapidement au contact de la lumière ou de l’humidité. La synthétiser au terme d’un processus de fermentation et de transformation chimique à partir de de l’amidon du maïs (ou du blé) permet d’en produire davantage et de la stabiliser.
Il serait trop long d’expliquer dans le détail comment une molécule est synthétisée en laboratoire. Le plus souvent, on part d’un précurseur de la molécule recherchée et, au moyen de divers procédés (par fermentation et/ou par transformations chimiques à l’aide de réactifs dans un montage à reflux), on parvient à produire la molécule de synthèse. La synthèse chimique par fermentation de souches de levure permet par exemple la production à grande échelle de principes actifs (notamment des antibiotiques).
Si l’action et l’efficacité des molécules de synthèse sont indéniables, il est illusoire de penser que les extraits synthétiques valent les extraits naturels de plantes. Non pas parce que les molécules actives sont différentes, mais parce que l’efficacité de nombreux extraits naturels tient à la synergie de l’ensemble des composants de la plante, ce qu’aucun extrait synthétique ne saurait totalement copier. La seule réelle différence d’efficacité entre un extrait naturel et un extrait synthétique se joue ici.
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