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On doit indirectement à un certain monsieur Leborgne l’un des mythes les plus tenaces de la neuroscience : que le caractère ou le tempérament principal d’un individu dépendrait de l’hémisphère cérébral qu’il utiliserait le plus – logique et rationnel pour l’hémisphère gauche, émotionnel et instinctif pour l’hémisphère droit. Cette idée n’a pas surgi de son cerveau mais, des années après, de son autopsie. Après son décès, le neurochirurgien Paul Broca examine son cerveau. On est en 1861 et Broca cherche à comprendre pourquoi Leborgne, qui ne souffrait d’aucun trouble moteur connu et qui comprenait tout ce qu’on lui disait, n’avait été capable d’émettre qu’une seule syllabe, « tan » (qui deviendra son surnom à l’hôpital du Kremlin-Bicêtre), et incapable d’exprimer ses idées par écrit. Son aphasie éveilla sa curiosité ; l’autopsie de son cerveau fut le premier d’une longue série, qui mit en relief les hémisphères cérébraux.
Au niveau du cortex frontal inférieur gauche du cerveau de Leborgne, Broca trouva une importante lésion. Chez tous les autres aphasiques dont il autopsia le cerveau, il fit la même constatation. Ce qui l’amena à faire cette fameuse déclaration, « nous parlons avec l’hémisphère gauche. » Depuis, la troisième circonvolution du lobe frontal porte son nom ; et depuis, peut-être conforté par Wernicke qui localisa dans le lobe temporal gauche une autre aire dont la lésion est aussi responsable d’un type d’aphasie, le bruit a couru et, de proche en proche, le mythe est né que chaque hémisphère était autonome l’un de l’autre et que la prédominance de l’un sur l’autre expliquait les deux types de personnalité, masculin/logique/analytique, féminin/créatif/synthétique.
L’erreur ne consiste pas à faire le constat que des zones du cerveau ont une fonction spécifique – l’aire de Broca où le langage est produit, l’aire de Wernicke où le langage est compris, et on pourrait en dire autant des différents lobes du cerveau – mais à croire en une prévalence hémisphérique et à tisser à partir de là une fiction psychologico-comportementale.
La latéralisation et l’asymétrie des hémisphères signifient tout autre chose. Certaines fonctions mentales sont localisées dans un seul des hémisphères ; on l’a vu pour le langage dont le traitement occupe l’hémisphère gauche (et quelquefois l’hémisphère droit chez des gauchers) ; on pourrait dire de même du traitement des informations spatiales qui occupe principalement l’hémisphère droit. Quoique ce ne soit pas non plus aussi simple. Les recherches avec imagerie par résonnance magnétique (IRM) ont démontré que l’attention visuospatiale mobilise également l’hémisphère gauche, mais que chacun des hémisphères ne traite pas l’information à la même vitesse et avec le même type de connexions neuronales.
D’un point de vue anatomique, le cerveau est organisé de façon symétrique. Les deux hémisphères, reliés entre eux par le corps calleux et les commissures, partagent le volume crânien en deux parties égales. La structure de chaque hémisphère est similaire, que ce soit en surface, circonvolutions ou scissures, ou en profondeur, noyaux gris centraux et thalamus. Seulement, l’hémisphère droit contrôle le côté gauche du corps et inversement. Sans que l’on en ait compris la raison, les voies sensitives et motrices se croisent dans le tronc cérébral pour rejoindre l’hémisphère opposé. Tous les sens sont concernés, le toucher, l’odorat, l’ouïe, y compris le champ visuel (ce qui nous vient sur la gauche est traité par l’hémisphère droit et vice-versa).
D’un point de vue fonctionnel, il est indéniable qu’il n’y a pas de symétrie hémisphérique, au sens où, sur la base des tâches à accomplir, les mêmes zones ne s’activent pas sur chacun des hémisphères. Lire, manger, se déplacer ou résoudre une multiplication n’implique pas l’activité égale des hémisphères droit et gauche. Cependant, aucune action humaine n’exclut l’un des deux hémisphères : non seulement ils travaillent de concert (parce qu’il n’y a pas de fonction « simple », la vision n’est pas que spatiale, elle implique la mémoire, la volonté, le désir, la compréhension), mais en plus chacun des hémisphères peut – en partie – compenser le déficit provoqué par une lésion sur l’autre hémisphère, l’un prenant à sa charge l’activité que l’autre exerçait. C’est ce qu’on appelle la « plasticité cérébrale », laquelle nécessite évidemment que des connexions se fassent entre les deux hémisphères par des voies neuronales non lésées.
Les fonctions des différentes aires cérébrales ont été déduites des lésions constatées par la neuropathologie. A telle lésion tel trouble, et à tel trouble telle fonction. Mais rien, hormis par une exagération simpliste, ne permet d’opposer les deux hémisphères comme s’il renvoyait à deux volontés distinctes et que, selon les individus voire le sexe, l’un prédominait sur l’autre. Les tâches les plus simples sont finalement déjà des tâches complexes, la lecture par exemple active une multiplicité de centres spécialisés reliés entre eux et formant un réseau qui s’étend à travers les deux hémisphères.
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